Guerre économique sino-européenne: si l’Afrique centrale devait choisir…
In Intelligence économique, Stratégie on 17 février 2008 at 3:00
Depuis quelques années, voyant l’arrivée fracassante des Chinois dans l’économie mondiale, les Etats-Unis et l’Union européenne n’ont eu de cesse d’accabler Pékin de toutes sortes de critiques: non respect des droits de l’Homme et des règles de saine concurrence, pollution atmosphérique, contrefaçon, allocation de prêts sans condition aux pays africains, soutien aux régimes autoritaires tels que le Soudan… Associations, artistes, intellectuels et politiques sont au cœur de ce dispositif de déstabilisation relayé à l’intérieur de la Chine par des dissidents, et à l’extérieur par les médias occidentaux et des réseaux d’influence sur internet. Les jeux olympiques de Pékin 2008 offrent un excellent site d’observation des manœuvres en cours contre le pays de Hu Jintao. Toute honte bue, on signe des milliards d’euros de contrats avec une Chine qui ne respecte pas les droits humains mais on refuse de jouer avec elle. L’Occident se confond. Après «Chine-États-Unis, la guerre aura-t-elle lieu ?» de Guy Spitaels on ne se pose plus la question du durcissement des affrontements économiques entre la Chine et l’Europe. L’Afrique centrale -enjeu géoéconomique dans cet échiquier grâce aux richesses stratégiques de son sous sol- pourrait opérer des choix pour le moins inattendus. Cependant, les raisons pour lesquelles elle penche pour la Chine (1) ou l’Europe (2) relèvent avant tout de son propre réveil à la face du monde.
1. La Chine et l’Afrique centrale
Dans nos précédents travaux sur la guerre économique entre la Chine et la France dans le golfe de Guinée, nous avons détaillé les principales raisons qui rapprochent presque naturellement la Chine de l’Afrique. Vous priant de vous y reporter, nous nous contenterons ici de rappeler quelques unes :
- Proximité des matrices culturelles : croyances traditionnelles et religieuses, respect des anciens, offrandes aux êtres chers sans but de corrompre leur jugement, sens de la solidarité, prééminence de la communauté sur les individus, respect des étrangers, humilité… etc. ;
- Communauté des humiliations passées et présentes: la Chine et l’Afrique n’oublient jamais qu’elles furent colonisées par les puissances occidentales. L’Afrique comme la Chine, vues d’Europe, c’est essentiellement des stéréotypes, c’est la corruption, les pandémies, l’absence de démocratie, une démographie menaçante, l’immigration illégale, l’espoir et la peur, le mystère et le connu…
- Fraternité Sud-Sud par rapport au Nord : la Chine est le modèle par excellence du pays sous-développé qui s’élève directement au rang de superpuissance mondiale avec la possibilité, dès 2040, de ravir la première place aux Etats-Unis d’Amérique. Les BRIC font rêver la CEMAC. Et la Chine y apparaît parfois comme l’Afrique jaune…
Ceux des Africains qui souffrent le plus de la présence chinoise sont davantage les petits commerçants, laminés qu’ils sont par les prix bas des produits made in China. N’étant pas constitué en association et manquant individuellement d’influence, on entend rarement ce petit peuple qui crie à mort en manifestant sur des motos chinoises. Pour tous les autres (politiques, chefs d’entreprises, collectivités locales et demain étudiants, chercheurs et sportifs…), la Chine décomplexe. Elle est source de profits, d’échanges, d’autonomie, d’audace et de changement par rapport aux anciennes puissances coloniales. Et qu’on se le dise, il n’appartient pas aux Chinois de veiller sur les intérêts africains. Loin s’en faut. Ainsi, même au contact des plus redoutables mercenaires d’affaires Chinois, l’Afrique ne sera jamais que ce que les Africains en feront. Cela étant, peut-on en dire de même en penchant pour l’Europe ? Examinons-le ensemble.
2. L’Europe et l’Afrique centrale
Le cartésianisme a fait ceci qu’en Europe, tout est étiqueté, classé et rangé dans des cases. Les Africains occupent une de ces cases avec plusieurs étiquettes dans l’imaginaire européen : de grands enfants qui ne s’enflent point d’orgueil, qui croient tout, espèrent tout, supportent tout… L’amour selon Saint Jean. On comprend que la sécurité de la pensée occidentale en dépend, au point de s’interdire de varier, de voir autrement, de reconsidérer. « Non, l’Afrique c’est comme ceci. Un point, c’est tout ! » Dommage, car l’Afrique change. Elle se métamorphose en silence, en profondeur, en fonction de sa mémoire, de ses traditions, de ses blessures, de ses richesses, de ses rêves et des autres peuples, en fonction d’hier, d’aujourd’hui, de demain. Dans ce contexte, l’Europe (et la France notamment) est perçue comme :
-Un continent de valeurs qui n’a de valeurs que les siennes. Ayant commis l’un des plus terribles crimes qu’ait connu l’humanité, l’Europe des « droits de l’Homme » s’obstine au refus de demander pardon aux peuples Noirs. Elle s’imagine qu’on oubliera ; que le temps, comme la poussière du désert levé par des vents lointains couvrira cette indicible blessure que fut l’esclavage. Erreur. Un homme oublie. Un peuple, jamais.
-Un continent qui a vu naître deux guerres mondiales en son sein et qui, malgré le tord qui précède, bénéficia de l’effort de guerre de ses alliés Africains pour se libérer d’un ennemi intra-utérin. Quelques dizaines d’années plus tard, le couple franco-allemand -moteur de l’Union européenne- est soudé comme jamais, tandis que les anciens combattants Africains continuent de raser les murs pour recevoir la même reconnaissance que leurs frères d’armes Français.
-Un continent dont les élus viennent officiellement insulter l’Afrique à Dakar, terre de nos ancêtres et berceau de l’humanité, foulant aux pieds la vénérable mémoire de Ckeik Anta Diop et des dizaines de milliers de tirailleurs qui moururent pour la Liberté.
Voilà l’Europe qui courtise les richesses de l’Afrique et met en garde contre la Chine.
Guy Gweth
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